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4 œufs pour un cordon

Nous sommes le samedi 21 septembre.

C’est l’occasion de marcher pour le climat, comme des dizaines de milliers de personnes dans plusieurs villes de France, du monde, et ce, afin de porter la voix des enjeux climatiques, de s’unir pour nos préoccupations d’avenir, de se mobiliser pour une justice environnementale digne de ce nom…

Plus de 4000 bipèdes ont fait le déplacement pour rejoindre le cortège Lillois, pour se sentir vivant, acteur, mineur de ce besoin d’évolution.

Pour moi, c’est aussi l’occasion de balader avec le boitier, pour capturer quelques Portraits Volés.

C’est l’occasion de prendre la température de cette manif’.

C’est aussi l’occasion de boire une ou deux bières entre amis par la suite.

C’est l’occasion quoi !

 

Lorsque je rejoins le cortège, qui a déjà bien débuté, l’ambiance est plutôt joviale.

Elle est même assez allègre dans le fond du mouvement.

Certains se baladent avec leur sac poubelle et jouent des quadriceps pour ramasser des déchets en bordure de route tout en chantonnant. D'autre se font la courte échelle pour coller des stickers verts sur les façades et enseignes des grosses firmes et banques. D'autre, scandent plus fort que leurs voisins pour faire entendre leur nouveau slogan tant critique que caustique, certains sont même accompagnés d’un porte-voix plus ou moins puissant. D'autre ont le privilège de porter la banderole de leur association, et d’autre encore brandissent leur pancarte faite main fièrement, espérant qu’elle puisse rallier à sa cause toute personne qui la liera, restée là, plantée sur sa chaise de terrasse, d’un air peu intéressé, peu concerné par ces préoccupations climatiques.

Dans le cortège, à chacun sa mission, à chacun son ambition.

Il y a des couples, des familles, des enfants, des bambins, des groupes d’ados, des papis, des mamies, des cheveux gris et même des solitaires.

Il y a de la couleur portée, des odeurs diffusées, des fleurs dans les cheveux légers, des gavroches et des casquettes posés, des vélos poussés par leur cyclistes à pieds, des chiens qui promènent leurs humains, des goûters qui se font dévorer, des mains qui se tiennent, des ailes à paillettes sur le dos des femmes et fillettes, des tambours battus sanglés à la taille.

 

Il y a des grelots aux chevilles, des masques aux visages, des sifflets aux lèvres, des tambourins cymbales aux poignets.

Il y a de l’éclectisme, du dynamisme, de l’activisme, du philanthropisme…

Il y a du chic, du style, du bobo, du bohème, du prolo, du GJ, du BCBG, du costard cravate, du survet’, du jean, de la jupette, du tweed, du lin, du coton, du bio,  du synthétique aussi.

Il y a des convaincus, des passionnés, des motivés, des plus discrets.

 

Il y a un peu de tout, de tous, de toutes, un peu partout.

A chaque assos’ sa banderole, son slogan, ses chants, ses militants, ses mouvements, ses instruments…

Joyeuse cacophonie, charivari, harmonie…

L’ambiance est légère, fraiche, amicale, dynamique, je m’y sens bien, en sécurité, en sérénité.

 

Il y a aussi des photographes, des professionnels, des amateurs, des smartphones brandis, deux trois caméras et de-ci de-là, des micros et prises de voix.

Il y a des interviewés, des photographiés, des loupés, et des ignorés.

Parfois même, une pièce ou deux, un café sera donné à ces ignorés, ces oubliés, ce qui leur donnera juste les quelques secondes de regards échangés, cette légère et fugace impression d’être enfin considéré.

 

 

Dans tout ce brouhaha, quelques portraits seront volés… quelques-uns seulement.

La photo de manif, c’est pas vraiment mon trip…

Je préfère me laisser porter, me laisser vibrer.

Et puis…

 

Voilà que le cortège s’arrête.

Face à l’un des géants des GAFA, représentant par excellence du capitalisme : Apple.

Les sifflets retentissent, au rythme des caisses claires, les manifestants scandent en cœur « Apple paie tes impôts ! » et rapidement, l’attroupement se crée, les applaudissements retentissent,  puis deux trois œufs seront lancés, contre les géantes baies vitrées immaculées de l’enseigne ciblée, sous les huées de la foule préoccupée.

Le temps se suspend à présent.

Caisse claire, slogans, chants et huées.

Désolidarisation des associations, légers mouvements des éléments, des manifestants, des militants.

Pas d’agitation, mais une tension, une attente, une émotion, une observation.

 

Les slogans chantent, les caisses claires retentissent, les applaudissements accompagnent le jet d’autres œufs lancés.

Un total de quatre impacts visqueux seront à dénombrer.

Sur cette magnifique et immense paroi vitrée.

 

Puis, le cordon vivant de sécurité sera placé, sous les yeux ébahis des manifestants, pour protéger les baies vitrées de cette belle et grande enseigne honteusement souillée.

Lâchement détériorée.

Violemment délabrée…

C’est fou tous les dégâts que peuvent faire 4 œufs… !

Tous les dangers que peuvent représenter 4 œufs !

 

4 Œufs…

4 Œufs, de quoi faire une omelette fondante pour 2 personnes, un sabayon fruité pour 4 personnes, un savoureux flan coco pour 5 personnes, une légère ile flottante pour 6 personnes, une croquante quiche champignons poireaux pour 7 personnes, un quatre quarts fruits rouges moelleux pour 8 personnes, un savoureux gratin de courgettes parmesan pour 9 personnes, un Carrot Cake exquis pour 11 personnes, de délicieuses petites meringues croustillantes pour 12 personnes, de parfumées et épicées bricks de légumes pour 13 personnes.

4 Œufs, pour 4 coques, 4 plats, 4 mollets, 4 durs, 4 cocottes, 4 pochés, 4 brouillés, 4 gelées, 4 mimosas, 4 marbrés au thé, 4 Benedicts.

4 œufs, c’est aussi 50 « Originals American Cookies », 26 pots de crèmes d’asperge, 22 madeleines au citron, 20 muffins cassis, 18 crêpes au rhum, 16 cannelés bordelais, 14 pancakes sirop d’érable, 13 quenelles fromage moulées à la main, 8 parts de clafoutis aux cerises, 7 aubergines pannées, 6 frittatas de légumes, 5 parts de tiramisu, 4 mousses au chocolat, 2 fondants cœur coulant au chocolat, 1 pot de mayonnaise, ½ litre de crème anglaise…

4 œufs…

 

4 Œufs… pour un cordon de 30 agents, pour une quinzaine de boucliers, et pour plus d'une vingtaine de renfort qui feront par la suite leur entrée, par groupe de 5 ou 6, sous les huées des acteurs spectateurs, de cette ahurissante mise en scène digne des aberrations kafkaïennes.

4 Œufs…

Qui ont eu le pouvoir de scinder la population en 2 camps, les pours, les contres. Les aqueux, les visqueux. Les agresseurs, les défenseurs. Les représentants, les désobéissants.

4 Œufs…

Les insultes pleuvent, les injures fusent, les esprits s’échauffent, les tensions montent.

Ça sent la testostérone à plein nez, profusion de cortisol : certain prennent la fuite face au cordon stoïque.

Profusion d’adrénaline : d’autre restent pour assister au dénouement final.

Certains sont curieux, d'autres espèrent le Fight.

 

Ça pèse lourd 4 œufs.

Ça pèse tout ce matos de protection et de défense, en matraques, casques, boucliers, gilets, bombes lacrymos, menottes, oreillettes, protèges tibias, écussons, et armes de points…

 

Ça fait peur 4 œufs.

Peur à l’étatique, au dogmatique, au politique, à l’économique, au despotique, à l’antidémocratique, au maléfique, au diplomatique, au climatosceptique, au pathétique, à l’égotique, au pro plastique, au chimique, au pharmaceutique, au cosmétique, à l'atomique, au chimérique, au stoïque, au capitalistique, au carbonique, au bureaucratique, au toxique, au  phallocratique, à l’anthropocentrique, à l’apathique, au vomique, au névrotique, au catégorique, au robotique, au dynastique, au médiatique, à l'amnésique, au démagogique, aux mécaniques hiérarchiques, au dystopique, au prosélytique, au narcissique,  à l’oligarchique… ! ...

Chique !

 

4 œufs…

 

4 œufs pour 1 cordon… bleu !

...

Septembre 2019

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