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Un soir de Foire

La Foire, la Fête Foraine, « La Ducasse » comme on l’appelle chez nous.

Un concentré de vie festive, sous acide.

C’est dès le premier pas posé au sein de ce microcosme électrique, éclectique, brassant des milliers de personnes par soirs, une claque d’hyperstimulations sensitives et sensorielles.

Absorbée par ce cocon d’agitations, de mouvances, d’odeurs, de bruits, de couleurs, de saveurs, le temps se suspend irrémédiablement.

 

Envoutée par ces innombrables sollicitations sensorielles, je me laisse porter par les flux de badauds qui vont et qui viennent, tous là pour la même raison que moi ; en prendre plein les sens, plein les mirettes et doper inconsciemment mais surement le taux de sérotonine, au rythme des néons qui pétillent dans nos rétines et des cris qui s’élèvent par saccades dans le ciel tels des fusées d’artifice chargées d’extase et d’euphorie.

S’offrent à moi toute une panoplie d’odeurs ; corporelles, alimentaires, récréatives, addictives passant continuellement de l’une à l’autre aux grès des gens et des stands que je croise.

Ça sent la transpiration, le parfum, le déo, l’adoucissant, la clope, la beuh, la bière, la frite, la crêpe au chocolat, le sucre chaud, la barbe à papa, la glace à la vanille, le pétard mouillé, la sucette à la fraise, la pomme d’amour, les beignets la crème, les chichis et aussi la gaufre hyper rance que je filerai dés la nuit à mon chien, tout en espérant qu’elle ne me foutra pas la gerbe le lendemain. 

Les couleurs des néons ont-elles aussi des odeurs chauffées, acidulés, comme les bonbons soucoupes pétillantes de mon enfance. Je les entends crépiter au rythme de leurs sursauts extatiques, hypnotiques.

J’en perds tout repère sensoriel.

A chaque manège, ses sons, ses cris, ses appels, ses cirses de rires, pour en changer au prochain.

Une soupe de sons, une somptueuse cacophonie qui ne connait ni délicatesse ni harmonie et trouve pourtant naturellement ses accords inattendus dans la surprise des évènements.

La musique techno se mêle aux bruits des machines, des carabines qui tirent, des voix séductrices dans les micros et des sirènes criardes qui alertent sur les prochains tours à venir.

Au rythme de cette cohue assourdissante battra mon cœur qui ne demandera qu'à être envouté de plus belle.

Ça gueule, ça crie, ça hurle, ça parle, ça rit, ça s'impatiente, ça se presse, ça se hâte et ça se dispute même de toutes parts.

Ça se charme, se regarde, se dévisage, s'ignore, se dandine, s’échange des petits mots, ou des numéros.

Parfois ça s’aime aussi, doucement ou plus brusquement contre la paroi de la roulotte, à l’abri des regards curieux, lentement ou subrepticement.

Ça se touche, ça se pelote, ça s’embrasse et ça caresse même furtivement la fesse du voisin, en toute discrétion lorsque monsieur jaloux aura les yeux rivés sur le distributeur de billets, offrant cette intimité, rupture du serment de fidélité à tous les yeux étrangers qui auront su où se poser.

Ça se pousse, ça se provoque, ça rivalise bestialement, ça se combat de testostérones, tentant d’exhiber sa capacité musculaire, sa force de frappe lors d’un duel de boxe mécanique, remake du fameux « qui a la plus grosse » version « qui tape le plus fort ».

Rituel presque obligé pour tous les jeunes mâles pubères en quête d’auto valorisation et de reconnaissance de ses frères.

Ça perdra tout raisonnement, tapera contre punching-ball mécanique tout en regardant le score défiler, ça se fera mal, jouera les forts et à peine ça voudra sourciller sous la douleur du poignet mal aligné : la réputation doit être préservée !

Il n'y a pas d'age pour faire valoir sa virilité aux yeux de ses paires.

Ça se validera, se défiera encore de plus belle, puis ça se dispersera.

Peut importe l'heure qui défile.

Ça continue de défiler de plus belle.

Inlassablement.

Ça tente de consoler les bambins en pleur face à autant d’agitation, de rassurer les chiens déboussolés face à ces bipèdes dégénérés, de calmer les gamins surexcités qui veulent enchainer les attractions les unes après les autres sous les regards tantôt amoureux, tantôt vaseux des parents.

Puis, parfois c’est la quintessence de l’excitation, en famille, couple, ou amis, chacun se nourrit de l’exaltation de l’autre pour entretenir ce feu ardent.

Désordonné, anarchique, archaïque.

Par répercussion tout le monde en profite, la joie rebondit des uns aux autres, comme des bulles de savon, légères au vent et pourtant bien chargées d’hilarité.

Il y a de l’euphorie, de l’extase dans l’air, disponible à souhait pour chacun qui sait où regarder, où la sentir, où la saisir.

Il y a aussi de l'envie, de la rage, de la jalousie de la colère parfois.

Tout un panel d'émotions caractéristique des rassemblements et effets de masse.

 

Au milieu d’eux, en retrait de cette agitation, le regard rivé sur toutes ces pétillances de vie sous effervescence, je m’imprègne du moindre détail de ce soir de foire.

 

Qu’ils sont forts ces forains!

Appas, incitations, invitations, provocations, promesses de gains ; tout pour repérer la moindre vulnérabilité, provoquer l’adrénaline et faire vibre notre dopamine.

Alors ça se pousse au portillon, pour les petits comme pour les grands.

Ça veut attraper le pompon, tirer le ballon, casser la corde, péter le score, empiler les pièces, attraper la peluche, dompter les pinces, lancer les anneaux, pécher le canard, rentrer dans le livre des records des gains de ce soir la foire et qui sait, retourner  à la maison avec le gros lot sous le bras.

Ça veut jouer et gagner, à tout prix.

 

Parfois, ça s’emmerde aussi.

Devant le manège tournant qui fait tant plaisir aux enfants, dans la file d’attente pour la énième barbe à papa de la soirée, à côté de la machine à glace italienne défectueuse, face au cordon de sécurité qui draine l’accès aux machines volantes et tombantes, en attendant le client, le joueur, le festoyeur.

 

Microcosme festif, repères sous acides, rupture de ma gamme chromatique.

Les néons flashis bouleversent toutes mes notions spatiaux-temporelles.

Les décos des stands sont d’une kitschissime somptuosité.

Les peaux deviennent vertes, rouges, violettes, les cheveux oranges, roses, ou bleus, le noir se teinte de nuances pastelles et les blancs reflètent les néons qu’ils croisent, changeant constamment de teinte, d’ambiance, de vibrance.

Aliens mutant aux comportant humanoïdes exacerbés, par la fatigue, les substances, les boissons, l’addiction, le jeu, les émotions et sensations.  

Agitation sur excitation, plus personne ne s’écoute, plus personne ne rassure, plus personne ne veut attendre l’autre.

Ça mouve, s’impatiente, s’énerve.

Ça se bataille, ça se chamaille, ça se laisse, ça se délaisse, ça s’insulte et ça se frappe même aussi parfois.

Microcosme récréatif…

 

La Foire, la fête foraine, la « ducasse » comme on dit chez nous, c’est un mélange de gens, de styles, de classes sociales, de tous milieux confondus.

Du jean baskets, au costard en passant par le jogging et le short de surfeur.

Du mini short laissant apparaitre la croupe juvénile, au pantalon percé d’inspiration punk, en passant par la jupe pudique, les bas résilles provocateurs ou encore au sarouel hippy chic coloré.

De la boule à zéro, aux couettes naïves, aux mèches roses fluos, en passant par le brushing impeccable, ou les cheveux à l’hygiène oubliée…

 

Ils se confondent et se mélangent tous.

 

Qu’ils sont beaux dans cette foule, dans cette masse, dans ce rythme.

Se laissant porter par cette dynamique hors du temps, sous cette rythmique anarchique, cette puissante confusion, faite de sons, odeurs, saveurs, couleurs…  

C’est qu’ils sont beaux ces gens, quand ils sourient, rient, vibrent, hurlent, s’aiment et se déchirent.

Quand ils oublient tout.

Quand ils font tomber le masque, les limites, toutes frontières, toutes barrières, dans leur crise, dans leur folie, dans leur impétueuse fougue de vie, pour ressentir ensemble à l’unisson une expérience de vie intense, l’espace d’un instant, d’un moment.

Qu’ils sont beaux ces gens, ce Soir de Foire…

 

Ces gens qui s’oublieront peut-être déjà demain matin, pendant que je tenterai de me souvenir d’eux une toute dernière fois...

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Mai 2019

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