La Martinique
5h du Matin.
Réveillée par le chant des sauterelles et le bêlement des biquettes postées dans le champ attenant à la location.
Je suis arrivée la veille sur l’ile de la Martinique le cœur remplit de rêves d’aventures et d’envie de découverte.
Les rayons chauds traversent les fins rideaux blancs, la lumière est déjà éblouissante. Dans la chambre, qui contient un grand lit, une armoire en bois laqué, un lavabo carrelé et une douche aux joints moisis, l’atmosphère est lourde, moite, chaude, pesante. Les draps collent à la peau, l’hydrométrie approche les 70% et la température dépasse déjà les 30 degrés.
Je donnerai tout pour que Morphée reprenne mon corps encore 2h supplémentaires, avant d’entamer cette nouvelle journée pleine de promesses.
Juste 2 petites heures de sommeil en plus…
Mais, c’est impossible!
La peau perle, la chaleur colle au corps dès les premières minutes, le réveil est aussi pesant que l’atmosphère. De cette atmosphère annonciatrice d’un orage qui ne viendra pas cette journée.
Du vent, je veux du vent, et de l’air frais.
J’espère que cette chaleur martiniquaise ne m’empêchera pas de profiter du séjour.
Ah, La Martinique!
J’y serait de passage pendant une vingtaine de jours.
Vingt jours, c’est tellement peu et pourtant tellement riche en sensations, en émotions, en visages, en images, en vécu et surtout en souvenirs.
La Martinique…
La Martinique, c’est déjà ce flegme antillais en toutes circonstances, poussé à son paroxysme dans les heures de bouchons quotidiens sur les axes principaux reliant les villes, sous des températures insoutenables.
Les rythmes du zouk et du ragga dancehall s’échappant des véhicules pour se répondre les uns aux autres, dans un brouhaha continuel mêlant bruit d’échappement, conversations passionnées entre passagers, klaxons parfois fous, scooter doubleurs et préférence musicales dépaysantes.
La Martinique, c'est la beauté de ces corps plein de voluptés assumées, de formes décomplexées, ébranlant toujours un peu plus la violence de ce concept bêtement normé de « corps parfait ».
C’est la brillance de cette peau halée, la rugosité de cette peau noire et parfois marquée.
C'est cette chaleureuse approche de la séduction corporelle, mise en évidence par la légèreté des tenues et le minimalisme des tissus.
C’est ces sourires généreux et ces éclats de rires à gorges déployées toujours plus éblouissants que jamais.
C’est la douceur de cet accent chantant pour mon oreille de métropolitaine, faite d'un savoureux mélange français créole, renversant toutes mes notions de « dépaysement » linguistique.
La Martinique, c’est ces odeurs de Poulet Boucané ou de Matoutou de Crabe provenant des marmites cachées du soleil, sous de vieux parasols décolorés, le long des routes en pleine heure de pointe, cuisinés par les mamas selon la recette traditionnelle.
C’est ces stands de fruits frais, ces caisses colorés qui ne demandent qu'à être goutées sous les tonnelles de marché blanches, me donnant l’envie de croquer dans une mangue bien fraiche ou de sucer une maracuja sucrée à la suite du trajet.
C’est tous ces plats à base de viande que je ne gouterais jamais, préférant la découverte des délicates saveurs du fruit à pain, du corossol, de la papaye, du tamarin, de la carambole ou encore de la pomme d’eau.
C’est les cueillir sur les arbres au détour des balades et des marches sous un soleil de plomb d’une rare violence. C’est se délecter de leur jus et de leur douceur, comme simple récompense d’une journée aux kilomètres bien enchainés, puis c’est remercier le soleil pour le parfum bien sucré qui les nourrit.
C’est saliver devant les croquettes d’igname, adorer les gratins de banane plantain, abuser des galettes de manioc fourrés à la confiture lors des festivités, craquer sur les chips de banane, suer de plaisir à cause d’une savoureuse Sauce Chien bien trop révélée pour mon petit palais de métropolitaine, maudire de tout cœur la gélatine dans le Blanc Manger Coco qui restera pour moi un vrai mystère et regretter d’avoir croquer à pleine dent dans un Piment Végétarien sensé « ne pas trop piquer ».
La Martinique, c’est aussi tous ces savoureux Jus Antillais, ces cocktails de fruits frais, en sortant des centres commerciaux à la climatisation frissonnante, sur les terrasses le long des plages les pieds plantés dans le sable chaud, ou même en apéro dans les restos.
C’est ces assiettes de légumes cuisinés sur mesure, spécialement pour la végétarienne que je suis.
C'est faire honneur à cette gentillesse, en terminant malgré la panse déjà bien tendue, le dernier ramequin de gratin de fruit à pain vapeur, de banane plantain braisée, de carpaccio d’ananas au rhum vanillé, ou de mangue rôtie, tout en profitant de la vue sur le sable fin, bercée par le bruit des vagues.
C’est une explosion des papilles, un orgasme gustatif à chaque repas et parfois une goute dans le coin de l’œil traduisant le fameux « Putain, qu’est-ce que c'est relevé! » que mon sourire tentera vainement de dissimuler.
La Martinique, c’est ce climat tropical, propice à la massive production de bananes en tout genre, de la Plantain à la La Cavendish en passant par la banane Naine.
C’est ces cultures de bananiers aux majestueuses feuilles verdoyantes à perte de vue le long des routes.
C'est ce Musée de la Banane qui met en évidence toutes ses variétés, de la plus grosse à la plus sucrée, de la plus petite à celle qui ne se cuisine que cuite, dégustées en dessert, en sauces, en ketchup, en chips, en simple jus ou même en liqueur.
La Martinique, c’est cet incroyable patrimoine culturel fait de cette lourde histoire d’esclavagisme puis colonialiste rappelée au détour des musées, des rhumeries, des statues et œuvres mémorielles.
C'est photographies d’un ancien temps apposées sur les murs du jardin botanique, sur ceux des ateliers des rhumeries qui me questionneront sur tout un pan de l'histoire que l'on apprend trop peu à l’école Métropolitaine.
C’est cet héritage fait de douleur et de fierté qui marque le climat des locaux.
C’est ces souvenir de leurs ancêtres, ces histoires de vies, d’abus, d’exploitation dans les champs de canne ou de banane.
C’est la diversité de ce patrimoine architectural, mêlant influence coloniale, française et antillaise, donnant place à cette incroyable diversité. C'est des bâtisses faites de larges voutes blanches, bleues, ou beiges qui contrasteront avec les anciennes cases des esclaves parfois visibles de ci de là de l'ile.
La Martinique c’est la prise de conscience de ce passé colonial à la Savane des Esclaves, adoucie en partie dans le jardin Balata, fort de ses magnifiques Oiseaux de paradis, ces majestueux Palmiers, ces impressionnantes Roses de Porcelaine d’un rouge flamboyant, ces Héliconias colorés et bien évidemment ces Balisiers éclatants, représentation métaphorique de la « blessure historique du monde noir » selon Aimé Césaire.
C'est ces fleurs aux couleurs tant aguichantes pour les pollinisateurs, qui leur permettent de combler au maximum leur absence totale de parfum que mes narines auront tristement regrettée. Il parait que certaines peuvent même se cuisiner… il parait...
Et c'est ce balai nerveux des colibris tant habitués au passage des bipèdes, qu’ils n’y craignent plus la présence de l’humain. Fameux humain, qui dénote tant dans ce magnifique jardin, se frayant alors un chemin entre les Bougainvillier et les Frangipaniers, d’une beauté…
La Martinique, c’est aussi ces belles et grosse Rhumeries qui portent en elles ce lourd patrimoine, cette honteuse histoire de domination culturelle et raciale. Certaines le rappellent sur leur murs, d’autre dans leur récit, d’autre dans leur âme même, laissant à vue de toutes les anciennes cases des esclaves, tels les vestiges d’un temps révolu.
Ces rhumeries, c’est là que l’on y apprend aussi l’art de la dégustation de ce doux breuvage. Qu'il soit brun, blanc, doré, acajou, le rhum se contemple, se sent et se déguste.
Que ce soit sous des cloches à parfum, ou servit dans de magnifiques verres tulipes, on y découvre un tas de notes subtiles de cuirs, de vanilles, de fleurs, d’épices, de fruits, de thé, ou même de tabac, puis on le fait rouler doucement autour de la langue, puis couler dans la gorge pour profiter de son étonnante persistance aromatique.
Puis, une fois que l'on a perçu la douceur de ses saveurs, la force de son caractère, l’on peut recommencer la dégustation avec un suivant, puis un suivant, puis un suivant, puis …
Suite à ces découvertes, on y appréciera d’avantage la confrontation des différentes recettes de Ti'punch et de Planteur que l’on s’évertuera de déguster à chaque points possibles, bars et restaurants en tous genres.
La Martinique, c'est savoir apprécier!
La Martinique, c'est pouvoir traverser l'Ile en voiture en moins de trois heures en l’absence de bouchons.
C'est aimer des heures de rando aux paysages saisissants et évolutifs, passant du végétal abondant du sud à la sécheresse rugueuse du sud.
C’est ce contraste entre la beauté de cette savane débordante de végétation composée de Palmiers, de Fougères, de fleurs étincelantes, de cette Mangrove abritant milles et un crabes qui seront capturés par les locaux sous mon nez, de ces collines abruptes aux milles promesses et ces villes aux rues étroites parfois même coupes gorges.
C’est le clivage entre les villas somptueuses des Békés de Schoelcher ou des Trois Ilets, les cabanes des campagnes faites de bois de tôles et de poésie qui me feront parfois même rêver, les maisonnettes en bordure de rue aux portes toujours ouvertes desquelles s’échappent des odeurs de friture et la presque favela de certains quartiers de Fort de France où l'on nous indiquera de « ne jamais s’y aventurer toute seule ».
La Martinique, c’est aussi la folie des moustiques suceurs de sang, qui me feront essayer tous les répulsifs sur le marché contenant la fameuse molécule chimique DEET et d’autres dont j’ai oublié le nom, pour tenter d’éviter de me retrouver le corps cribler d’impacts, de morsures et de réactions allergies fort peu esthétiques.
Mais... Que nenni !
C’est ressemblant à une coccinelle vivante que je finirai ce séjour.
La Martinique, c’est aussi le coup de cœur pour chaque chiens, chaque chats errants que je croiserais, qui nous suivront, ou demanderont un tant soit peu d’attention.
C'est de devoir résister à cette envie de les câliner sachant pertinemment qu’ils sont eux même le refuge d’un millier de puces au bas mot.
La Martinique, c’est des sessions snorkeling en palmes masque tuba qui me feront vite comprendre que le tuba, c’est pas vraiment pour moi, l’apnée, c’est plus discret et surtout bien moins risquée.
C’est suivre le bal des tortues géantes au large des plages et s’extasier de pouvoir nager juste au-dessus d’elles sans trop les déranger.
C'est de laisser le temps couler au rythme des vagues.
C’est de pouvoir apprécier un bain sous une cascade naturellement fraiche, ou l’heure de nage en mer tout en pouvant profiter du coucher de soleil après une journée éreintante sous une chaleur éprouvante, c'est des bains de minuit après un bon gros repas délicieux.
La Martinique, c'est le spectacle des plongeurs du haut des pontons, du haut des rochers, du haut des falaises.
C’est déceler le jeu de séduction qui se profile derrière cette mise en danger.
C’est le regret de ne pas avoir de couchage pour profiter de la vue du coucher de soleil derrière le Rochet du Diamant, d’une sieste à la belle étoile, d’un feu de camp sous la lune, sur ce sable fin et doux, tant propice aux rêveries.
La Martinique, c’est aussi la catastrophe des bancs de Sargasses sur une grande partie des plages de l’ile, dont la présence tant physique que malodorante incommode tout vivant à des kilomètres à la ronde.
C’est cette odeur toxique et très caractéristique d’ammoniac et « d’œuf pourri » qui gâche la vie des habitants cet été de 2015, rendant même parfois la traversée de la ville en voiture insupportable.
La Martinique, c’est la beauté de la diversité de ses sables : blanc, brun, noir, roux, qui rendra chacune de ses plages uniques à condition qu’elle ne soit pas couverte de cette calamité de Sargasse.
La Martinique, c'est une flopée de Selfies en mode instagrameuse, vue de dos, les épaules rougies par le soleil, immortalisant les plages au sable fin, la vue des rhumeries, la vue des champs, ou la végétation du sud totalement cramée et asséchée.
La Martinique, c’est aussi une voiture qui rend l’âme en pleine excursion, des heures d’attente sur le parking d’une station-service, un chauffeur de taxi bigleux qui conduira à une main sans savoir quel chemin il devra prendre.
C'est des heures de marche sous un soleil de plomb, plusieurs tee-shirt trempés de sueurs, une pompe de crème solaire vidée, quelques paréos essayés, un chapeau de paille acheté, et des heures de baignade pour clôturer les journée.
C'est plusieurs malaises vagaux, trois jours de diarrhée, une crise de nerfs, deux ampoules, des heures de sommeil à récupérer, des heures perdues dans les bouchons, des heures à contempler et admirer la vie, la végétations…
Puis un décalage horaire et un blues du retour encore plus violent que les nausées Sargassiennes.
Ah… La Martinique…